26/04/2021 Nouvelles

Perspectives actuelles dans le travail mémoriel

Document d'orientation émis par la commission d'experts de la Fondation des mémoriaux et lieux didactiques à Hambourg en mémoire des victimes des crimes nazis (Stiftung Hamburger Gedenkstätten und Lernorte zur Erinnerung an die Opfer der NS-Verbrechen, SHGL)

Le travail mémoriel en Allemagne évolue dans un champ de tension entre la confrontation avec le national-socialisme et les débats sociopolitiques actuels. Ce phénomène s’accentue les derniers temps, notamment par une transformation de la culture du souvenir, la diversification de la société et une sensibilité croissante pour l'antisémitisme, le racisme et l'extrême-droite.

Les sites commémoratifs sont à cet égard régulièrement confrontés à des tentatives d'instrumentalisation politique, par exemple en étant déclarés lieux d'inculcation contre les positions du révisionnisme historique. Parallèlement se pose la question de savoir dans quelle mesure les sites mémoriels doivent ou peuvent prendre position et devenir actifs dans les débats actuels sur l'interprétation du passé national-socialiste et sur les questions de société.

Sur cette toile de fond, la commission d'experts de la Fondation des mémoriaux et lieux didactiques à Hambourg en mémoire des victimes des crimes nazis expose ci-après sa conception du mandat historico-sociopolitique à conférer aux sites commémoratifs.

Mission

La Fondation préserve la mémoire des crimes nationaux-socialistes sur le site historique de l'ancien camp de concentration de Neuengamme, de trois de ses kommandos extérieurs dans la ville de Hambourg ainsi qu’à l’endroit de déportation Gare de Hanovre ; elle explore et transmet l’histoire de ces lieux et ses conséquences ; elle entretient le souvenir des personnes persécutées par le régime nazi. La conscientisation sur les crimes nationaux-socialistes inclut une confrontation avec leurs répercussions, et une réflexion critique sur « le traitement des événements historiques par la société jusqu'à nos jours » (paragraphe 2 de la loi de Hambourg sur les mémoriaux).

Élements essentiels de la culture historique, les sites mémoriels dédiés aux victimes du national-socialisme incarnent aujourd'hui la conscience pour l'importance historique décisive des crimes contre l'humanité commis entre 1933 et 1945 par l'État allemand, avec la participation et l'approbation de larges pans de la société. En tant que tels, ils sont en premier lieu des institutions de recherche scientifique sur le passé. En offrant parallèlement des espaces pour une actualisation dynamique de la signification du passé national-socialiste, ils constituent en deuxième lieu d’importants forums de société. Enfin, ils défendent d'une manière très spécifique la perspective et les intérêts des anciens persécutés et de leurs familles. De ce qui précède découle une mission générale, à savoir celle de s'exprimer, en qualité d'acteurs institutionnels d'une culture mémorielle reliée au présent, sur l'analyse publique des pratiques historiques d'exclusion et de persécution, et sur les formes actuelles de misanthropie à l’égard de groupes spécifiques ainsi que leurs causes et leurs conséquences.

La Fondation est par ailleurs liée par la charte internationale des musées mémoriaux (International Memorial Museums Charter) adoptée en 2012 par l’Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste et par le Comité international pour les musées à la mémoire des victimes de crimes publics. Ce document souligne la singularité des crimes nationaux-socialistes ainsi que, résultant de la préservation et de la transmission de l'héritage historique des victimes, la responsabilité tournée vers le présent de protéger la dignité des victimes, l'intégration des minorités sociales et la création de cultures pluralistes du souvenir. Les sites commémoratifs ont par conséquent pour mission de contribuer à une formation humanitaire et civique, et d'introduire les interprétations du passé dans les débats historico-sociopolitiques actuels. Ils ont ainsi un devoir de conscientisation sur le passé national-socialiste et sur ses conséquences. Ils ne doivent en aucun cas être utilisés comme moyen d’atteindre certains objectifs relevant d’orientations politiques.

La Fondation veille dans son travail à ce que les visiteurs ne soient ni submergés ni endoctrinés, et que les thèmes controversés soient aussi traités de manière controversée. Le rapprochement entre thématiques du passé et du présent contribue à développer une conscience historique réfléchie et une culture de la mémoire réflexive et autocritique, il renforce en outre la prise de conscience pour l'importance des droits fondamentaux et de la personne humaine.

Défis et actions

La société allemande contemporaine se caractérise par des formes multiples de mémoire du national-socialisme, qui ont émergé de l’espacement temporel croissant mais aussi des interdépendances transnationales et mondiales anciennes et actuelles, de l'immigration et de la diversité sociale. La Fondation encourage pour cette raison les approches diversifiées de l'histoire du national-socialisme, entre autres par un regard différencié sur les divers groupes de persécutés et d'auteurs, ou par une prise en compte réfléchie de différentes perspectives et références à la Seconde Guerre mondiale et au national-socialisme.

Dans cet esprit, la Fondation oeuvre à dissoudre les représentations simplificatrices du passé national-socialiste, qui marquent aujourd’hui encore notamment l'image des responsables hommes et femmes ou celle de la responsabilité sociale collective. Elle intègre dans son travail, outre les positions publiques actuelles - émanant des politiques, des médias, de la société -, les conceptions et espaces de communication privés - familiaux, individuels, communautaires. Elle thématise les mécanismes opérants d'exclusion sociale dans les structures de la société et ses institutions d’aujourd’hui ; elle en analyse les continuités et les ruptures avec les modes de pensée et d'action révisionnistes, racistes, antisémites et antitziganes.

À cette fin, la mission éducative de la Fondation couvre entre autres des rencontres et programmes internationaux notamment pour la formation des jeunes, dans le but de renforcer les droits des minorités et de promouvoir la tolérance, la variété et la diversité. Ces programmes libèrent un potentiel d’analyse historique critique et apportent ainsi une contribution décisive à une culture historique démocratique.

La Fondation peut enfin remplir sa mission et son mandat en s’investissant dans les débats de société sur la base de son expertise scientifique et pratique, en vue d'aborder et d’affronter les tendances misanthropes et antidémocratiques. Il doit en être particulièrement le cas lorsque les réinterprétations historiques du passé sont incompatibles avec les principes fondamentaux des mémoriaux dédiés à la mémoire des victimes des crimes nazis.

Mars 2021